Elle servait aux rois, princes, seigneurs graves pour se montrer, se pavaner en quelque jour de festin solennel, avec leurs robes et leurs manteaux de parade; les reines, les princesses, les dames de la cour les accompagnaient, les longues queues de leurs robes portées par des demoiselles. On pouvait jouer l'air des pavanes avec des épinettes, des hautbois ou d'autres instruments, mais le tambourin se prêtait plus particulièrement à cette danse. La Pavane subissait parfois quelques modifications, desquelles elle ne souffrait pas si le danseur avait du talent; quelques-uns découpaient le double qui était entre les deux simples, en le remplaçant par des pas et des sauts, lesquels retombaient sur la même cadence et étaient de la même durée de temps. De tels découpements et mouvements de pieds légèrement faits modéraient la gravité de la Pavane. Les danseurs agiles et élégants y pouvaient faire autant de découpements ou de hachures qu'il leur plaisait pourvu qu'ils retombassent à leur cadence, le pied prêt à la marche. La Pavane était dansée au cours des cortèges et des processions galantes se rendant au bal, mais les grands seigneurs et les dames dites « matrones de bon et pudique jugement », à l'encontre des danses plus que voluptueuses que l'on avait introduites à la cour, regrettèrent bientôt, et vivement, la Pavane sage et digne d'attitude. La Pavane d'Espagne vint essayer de donner un autre cours aux idées, mais sans grand succès. Elle comportait les mouvements que voici : pied gauche avancé, pieds joints pour un simple à gauche; pied droit avancé, pieds joints pour un simple droite; pied gauche avancé, pied droit approché pour pied en l'air; sauts et autres gesticulations tant en marchant qu'en rétrogradant; pieds joints, pied en l'air droit; pied en l'air gauche, pied en l'air droit, pieds joints. Voici comment on danse aujourd'hui la Pavane, ainsi que l'a transcrite M. Desrat : Sur une mesure lente, en deux temps, avec le pas suivant fait tantôt en avant, en arrière, de côté et en tournant. Pas : pied droit : 1er temps, plier les genoux en glissant le pied droit; 2e temps, étendre la jambe gauche devant la droite, la pointe du pied très tendue et touchant seule la terre. Pour le pied gauche, prendre le mouvement en sens inverse, et pour tourner s'élever sur la pointe du pied tombant à terre en rapprochant l'autre pied devant. Pavane. - 1re reprise : Deux couples se placent vis-à-vis l'un de l'autre, le cavalier à gauche de sa dame; ils décrivent un grand demi-cercle sur leur droite pour changer de places. Le pas de Pavane se fait à droite. Les cavaliers soutiennent très élevées les mains de leurs dames, et, après les changements de places, les couples se saluent; ils répètent le même mouvement pour revenir à leurs places primitives. 2e reprise : Les deux couples font quatre pas de pavane en avançant sur leur droite et s'arrêtent en face l'un de l'autre au milieu du salon. Ils se saluent, ils s'avancent ensuite l'un vers l'autre par deux pas de Pavane et font une pirouette sur la pointe, chaque cavalier exécutant ce tour avec la dame de son vis-à-vis. Les cavaliers se retournent pour faire face à leurs dames, et par quatre pas de pavane reprennent leurs premières places. Dans ce retour, les cavaliers conduisent leurs dames par la main droite de chacune, mais soutenue, élevée dans leur main gauche. Cavaliers et dames se saluent lentement en faisant un temps sur les pointes préalablement. 3e reprise : Un cavalier seul décrit un grand demi-cercle à gauche par quatre pas de Pavane, et, arrivé devant la dame de vis-à-vis, salut et révérence avec elle; il revient à sa place par le même demi-cercle, et, avec sa dame, salut et révérence. Le second cavalier recommence le même mouvement. Coda : Les deux couples s'avancent, sans se donner les mains, par quatre pas de Pavane ouverts à droite et à gauche; ils se saluent, les cavaliers tournent vis-à-vis de leurs dames, les saluent et les reconduisent à la place où ils les ont invitées. Souvent on termine par une promenade et saluts, comme on l'a fait en commençant la danse. Donnons encore, pour la meilleure éducation de nos lecteurs, la description d'une Pavane due l'art consommé d'un professeur de haute distinction, M. de Soria, qui l'avait intitulée Pavane Médicis et qui eut en son temps un énorme succès. Elle donne à peu près l'idée des pas et des mouvements, sinon des gestes et des attitudes de l'ancienne pavane de Thoinot-Arbeau : Elle devait être exécutée par deux couples en pas marchés sur une mesure à quatre temps très lente. Elle demandait beaucoup de tenue, de grâce, de majesté. Le pas qui était fait pendant toute la danse s'appelait pas marché et s'exécutait ainsi : On marchait en glissant sur la pointe du pied, un pas par temps de musique; si c'était du pied droit que l'on commençait : pied droit, pied gauche, pied droit, pied gauche. Pour exécuter la deuxième mesure, on recommençait du pied gauche. Le quatrième pas était un pas allongé et élevé légèrement, la jambe en avant. Les cavaliers se plaçaient en face de leurs dames, faisaient un salut en exécutant un quart de cercle à droite et les dames une révérence en faisant un quart de cercle à gauche; puis ils se donnaient la main, le cavalier soutenant la main gauche de sa dame dans sa main droite, les bras allongés de part et d'autre, légèrement arrondis, et ils s'avançaient en face de leurs vis-à-vis. Le cavalier conduisait ensuite sa dame au centre en changeant de place; il terminait ce trajet en frappant légèrement le sol de ta pointe du pied droit quatre fois (une mesure), faisait un pas à gauche et frappait également quatre fois du pied gauche; puis il exécutait un pas coupé à droite, un autre à gauche. Les dames changeaient de place avec leurs danseurs en faisant le pas marché. Puis il y avait un nouveau pas coupé et ensuite un balancé par changement de main et de place en exécutant une pirouette. A leur tour les dames s'avançaient l'une vers l'autre, faisaient quatre pas à droite, révérences à gauche et à droite et changeaient de cavalier à l'aller et au retour. Enfin, les cavaliers et les dames, après deux saluts et révérences, formaient un moulinet et chaque cavalier allongeait le pied gauche en avant, la jambe tendue, la pointe du pied à terre, et, avec sa main droite prenait la main gauche de sa dame, en l'élevant un peu au-dessus des épaules et en arrière; la dame allongeait le pied droit en ayant la jambe tendue dans cette position; puis on faisait un balancé en reprenant sa place primitive : les cavaliers tournaient à gauche et les dames à droite, et tous terminaient par un salut et une révérence à droite et à gauche. Pendant qu'en France la Pavane se dansait par couples, elle était le ballet préféré en Espagne, et, cependant, en ces temps d'Inquisition, le palais de l'Escorial ne devait inspirer ni gaîté ni plaisirs. Une cour triste et morose, un peuple courbé sous un joug de fer et en butte au cruel orgueil castillan ne pouvaient évidemment pas se livrer à une joie bien exubérante. Le Fandango n'avait pas encore apporté là, poussé par la civilisation armée de son flambeau, les clairs rayons de son fire éclatant, le son de ses airs entraînants, le pas de sa grâce et de sa volupté. L'Espagne devait se rattraper, ainsi que nous le verrons. En attendant, disons que la Pavane espagnole devait son nom peu près aux mêmes raisons qu'en France, c'est-à-dire parce que le danseur, arrondissant les bras sous la cape, appuyait la main sur la garde de son épée, mouvement qui, en soulevant le manteau par derrière donnait évidemment l'image d'un paon qui ferait la roue. Tout le monde connaît, au musée du Louvre, le tableau qui représente très exactement la Pavane dansée à la cour de France à l'occasion du mariage du duc d'Alençon. Cette oeuvre d'art est l'expression la plus nette, la plus vraie de notre fameuse Danse. Donnons maintenant cette théorie toute moderne de la Pavane, due au célèbre professeur Giraudet. On verra qu'elle ne diffère pas sensiblement des principes que cette Danse a eus dès sa création. La Pavane est dansée par deux couples se faisant vis-à-vis, chaque cavalier ayant sa dame à sa droite. Décomposition du pas de Pavane. - Du pied droit. 1er temps : Les pieds étant placés en troisième position, le pied droit devant, fléchir sur les deux jambes en glissant le pied droit en avant. - 2e temps : Glisser le pied gauche en quatrième position devant, la jambe gauche et la pointe du pied gauche bien tendues. - Du pied gauche. - 1er temps : Les pieds étant placés en troisième position, le pied gauche devant, fléchir sur les deux jambes en glissant le pied gauche en avant. - 2e temps : Glisser le pied droit en quatrième position devant, la jambe droite et la pointe du pied droit bien tendues. - En tournant : S'enlever sur la pointe du pied qui est tendue en rapprochant l'autre pied devant. Le pas de Pavane se fait en avant, en arrière, à droite, à gauche et en tournant. - Théorie de la Pavane. -1° Chaque cavalier prend de sa main droite la main gauche de sa dame, et les deux couples, en partant sur leur droite, changent de place en décrivant un demi-cercle par des pas de Pavane du pied droit et du pied gauche. Les deux couples se saluent et reviennent à leurs places en décrivant un second demi-cercle de la même façon que le premier; 2° Chaque couple va au milieu du salon, en exécutant quatre pas de Pavane et en obliquant à droite. Les deux couples se font face, se saluent et vont à la rencontre l'un de l'autre par deux pas de Pavane; chaque cavalier fait une pirouette avec la dame vis-à-vis, en pivotant sur la pointe des pieds et fait face à sa dame. Chaque couple revient à sa place par quatre pas de Pavane, le cavalier tenant dans sa main gauche la main droite de sa dame. Le cavalier et la dame de chaque couple exécutent un pas de Pavane en tournant et se saluent; 3° Le premier cavalier, en partant sur sa gauche, va se placer en face de la dame vis-à-vis en décrivant un demi-cercle par quatre pas de Pavane, la salue, et, décrivant le même demi-cercle, recule à sa place par quatre autres pas de Pavane. Le second cavalier exécute absolument, son tour, les mêmes mouvements que son partenaire; 4° Chaque couple, sans se donner les mains, marche par quatre pas de Pavane sur le côté droit et par quatre autres pas de Pavane sur le côté gauche; il salue le couple vis-à-vis, et chaque cavalier, faisant face à sa dame, la salue et la reconduit à sa place. Tabourot, dans son Orchésographie, nous donne une Pavane très aimée du public de son époque et dont le motif est ravissant avec l'accompagnement de tambourin qui est écrit au-dessus. Donc, non seulement cette Pavane se dansait, mais encore elle se jouait et même elle se chantait. Écoutons-en quelques couplets pour en finir avec cette Danse qui a si longtemps charmé nos pères et nous a encore enchantés nous-mêmes en ces dernières années : -
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Belle qui tiens ma vie Captive dans res yeux, Qui m'as l'âme ravie D'un sourire gracieux. Viens tôt me secourir Ou me faudra mourir... Tes beautés et ta grâce Et tes divins propos, Ont échauffé la glace Qui me gelait les os, Et ont rempli mon coeur D'une amoureuse ardeur. Approche donc. ma belle, Approche-toi, mon bien, Ne me sols pas rebelle, Puisque mon coeur est tien, Pour mon mal apaiser, Donne-moi un baiser. Il est évident qu'au dernier couplet le souhait du danseur amoureux devait être exaucé. Quant à la Pavane du grand monde, noble et majestueuse, donc respectable, elle n'eut pas moins de succès que celle qui se donnait si librement cours, ajoutant une volupté facile aux graces naturelles qu'elle possédait et qui, peut-être, en déparait un peu le caractère. Brantôme nous raconte, dans son langage si imagé et si bien frappé au bon coin de la vérité, la façon merveilleuse dont Henri II et sa soeur Marguerite dansaient la Pavane : « Le roy la menoit ordinairement danser le grand bal; si l'un avoit belle majesté, l'autre ne l'avoit pas moindre; je l'ai vu assez souvent la mener danser la pavane d'Espagne, danse où la belle grâce et majesté font une belle représentation, même les yeux de toute la salle ne se pouvoient soûler, ni assez se ravir par une si agréable rue; car les passages y étoient si bien dansés, les pas si sagement conduits et les arrêts faits de si belle sorte, qu'on ne sauroit que plus admirer, ou la belle façon de danser, ou la majesté de s'arrêter, représenter maintenant une gaîté et maintenant un beau et grand dédain; car il n'y a nul qui les ait vus en cette danse qui ne dit ne l'avoir rue danser jamais si bien, et de si belle grâce et majesté, qu'à ce roi frère et qu'à cette reine soeur, et quant à moi je suis de telle opinion, et si l'ai vue danser aux reines d'Espagne et d'Ecosse, et très bien. » |